Un jour traversant la Lorraine
Le sac au dos, bâton en main
J'aperçus Ah! la bonne aubaine
Une ferme sur mon chemin
Tout parlait de paix, d'espérance
En ce logis hospitalier
La tablée était mise
d'avance
Grand ouvert était le cellier
Entrez chez nous, prenez vos aises
Me dit la fermière en riant
C'est l'usage que tout passant
Boive un coup en s'arrêtant
Vous êtes dans la ferme aux fraises
On parlait déjà de la
guerre
Les fils graves et silencieux
Tendrement consolaient leur mère
Au suprême instant des adieux
Au coin du feu contant l'histoire
Des mâles combats d'autrefois
Un vieillard montrait avec gloire
Sur les murs ses nombreuses croix
C'était au temps des Marseillaises
Disait-il, j'ai comme le vent
Vu s'enfuir des rois. A présent
Je gravis d'un pied chancelant
Les marches de la ferme aux Fraises
Le lendemain même, à l'église
Le fermier conduisait joyeux
Le fille en robe de promise
Avec Pierre son amoureux
Le ménétrier du village
Jouait des airs du temps passé
Et sous l'ombre du clair feuillage
Les garçons dansaient dans les
prés
Doucement rapprochant leurs chaises
Les deux mariés rougissaient
Se regardaient en soupirant
Et sous le plis du voile blanc
S'embrassaient dans la ferme aux Fraises
Plus tard le coeur plein d'espérance
J'y revins par un doux matin
La ferme n'était plus en France
Un poteau barrait le chemin
Des roses thé jonchaient la
terre
La mousse envahissait le seuil
La ferme pleurait la fermière
Et les roses portaient son deuil
Que Dieu garde, fermes françaises
Vos toits un jour d'être proscris
On souffre on meurt loin du pays...
Je n'ai jamais repris depuis
Le chemin de la ferme aux Fraises